C’est une adresse rue du bout de la ville, une aire de repos avant de revenir sous les arches d’immeubles qui tracent une frontière : celle du cœur de la ville, notre odyssée, ou alors lui tourner le dos, fixer l’horizon et s’en aller, transformant ce qui est l’instant présent d’ores et déjà en un souvenir, en un mirage. Le mouvement s’impose ; nous sommes en transit quelle que soit la posture, la figure exercée. De notre univers puisons la force d’autres territoires, la poésie, le roman, la littérature, les arts, la paix, le combat aussi… Le partage surtout.

billet d'expression







Etienne de La Boétie, Discours de la servitude volontaire (1549)


[…] Mais en conscience n’est-ce pas un extrême malheur que d’être assujetti à un maître de la bonté duquel on ne peut jamais être assuré et qui a toujours le pouvoir d’être méchant quand il le voudra ? Et obéir à plusieurs maîtres, n’est-ce pas être autant de fois extrêmement malheureux ? Je n’aborderai pas ici cette question tant de fois agitée ! « si la république est ou non préférable à la monarchie ». Si j’avais à la débattre, avant même de rechercher quel rang la monarchie doit occuper parmi les divers modes de gouverner la chose publique, je voudrais savoir si l’on doit même lui en accorder un, attendu qu’il est bien difficile de croire qu’il y ait vraiment rien de public dans cette espèce de gouvernement où tout est à un seul. Mais réservons pour un autre temps  cette question, qui mériterait bien son traité à part et amènerait d’elle-même toutes les disputes politiques.

Pour le moment, je désirerais seulement qu’on me fit comprendre comment il se peut que tant d’hommes, tant de villes, tant de nations supportent quelquefois tout d’un Tyran seul, qui n’a de puissance que celle qu’on lui donne, qui n’a de pouvoir de leur nuire, qu’autant qu’ils veulent bien l’endurer, et qui ne pourrait leur faire aucun mal, s’ils n’aimaient mieux tout souffrir de lui, que de le contredire. Chose vraiment surprenante (et pourtant si commune, qu’il faut plutôt en gémir que s’en étonner) ! c’est de voir des millions de millions d’hommes, misérablement asservis, et soumis tête baissée, à un joug déplorable, non qu’ils y soient contraints par une force majeure, mais parce qu’ils sont fascinés et, pour ainsi dire, ensorcelés par le seul nom d’un qu’ils ne devraient redouter, puisqu’il est seul, ni chérir puisqu’il est, envers eux tous, inhumain et cruel. Telle est pourtant la faiblesse des hommes !

[…]
Pauvres gens et misérables, peuples insensés, nations opiniâtres en votre mal et aveugles en votre bien, vous vous laissez enlever, sous vos propres yeux, le plus beau et le plus clair de votre revenu, piller vos champs, dévaster vos maisons et les dépouiller des vieux meubles de vos ancêtres ! vous vivez de telle sorte que rien n’est plus à vous. Il semble que vous regarderiez désormais comme un grand bonheur qu’on vous laissât seulement la moitié de vos biens, de vos familles, de vos vies. Et tout ce dégât, ces malheurs, cette ruine enfin, vus viennent, non pas des ennemis, mais bien certes de l’ennemi et de celui-là même que vous avez fait ce qu’il est, pour qui vous allez si courageusement à la guerre et pour la vanité duquel vos personnes y bravent à chaque instant la mort. Ce maître n’a pourtant que deux yeux, deux mains, un corps et rien de plus que n’a le dernier des habitants du nombre infini de nos villes. Ce qu’il a de plus que vous, ce sont les moyens que vous lui fournissez pour vous détruire. D’où tire-t-il les innombrables argus  qui vous épient, si ce n’est de vos rangs ? Comment a-t-il tant de mains pour vous frapper, s’il ne les emprunte de vous ? Les pieds dont il foule vos cités, ne sont-ils pas aussi les vôtres ? A-t-il pouvoir sur vous, que par vous-mêmes ? Comment oserait-il vous courir sus, s’il n’était d’intelligence avec vous ? Quel mal pourrait-il vous faire si vous n’étiez receleur du larron qui vous pille, complice du meurtrier qui vous tue, et traîtres de vous-mêmes ? Vous semez vos champs, pour qu’il les dévaste ; vous meublez et remplissez vos maisons afin qu’il puisse assouvir sa luxure ; vous nourrissez vos enfants, pour qu’il en fasse des soldats (trop heureux sont-ils encore !) pour qu’il les mène à la boucherie, qu’il les rende ministres de ses convoitises, les exécuteurs de ses vengeances. Vous vous usez à la peine, afin qu’il puisse se mignarder en ses délices et se vautrer dans ses sales plaisirs. Vous vous affaiblissez, afin qu’il soit plus fort, plus dur et qu’il vous tienne la bride plus courte : et de tant d’indignités, que les bêtes elles-mêmes ne sentiraient point ou n’endureraient pas, vous pourriez vous en délivrer, sans même tenter de le faire, mais seulement en essayant de le vouloir. Soyez donc résolus à ne plus servir et vous serez libres. Je ne veux pas que vous le heurtiez, ni que vous l’ébranliez, mais seulement ne le soutenez plus, et vous le verrez, comme un grand colosse dont on dérobe la base, tomber de son propre poids et se briser.


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